Ce 16 mai 2018, le Prof. Serge Allegrezza a proposé aux membres de l’Economist Club une réflexion sur « un nouveau modèle de croissance au Luxembourg ?». L’indicateur utilisé communément pour mesurer la croissance est le produit intérieur brut (PIB), soit une mesure quantitative de l’augmentation de la production et de la richesse. Cependant, des critiques émanent, qui prôneraient plutôt les indicateurs d’une croissance qualitative, tenant compte du « bien-être ». Mais comment mesurer un « PIBien-être »?
Les critiques à l’encontre du PIB pointent le fait que ce dernier n’intègre pas les activités domestiques ou le bénévolat et que d’autres activités, prises en compte dans le calcul, réchauffent le climat, brûlent les richesses naturelles et dilapident notre « capital nature ». L’observation des statistiques du STATEC entre 1996 et 2017 montre un PIB réel (en variation annuelle) très irrégulier, avec la bulle (+8%) de 1999, le crash financier de 2008, la récession qui suit (-4%), la crise grecque de 2012 puis une certaine reprise. Le PIB à prix courants de 2005 à 2015 accuse une progression de 72%, mais le PIB par habitant n’affiche que 6% d’augmentation ! Le gap fait apparaître un problème de compétitivité, dès lors que les revenus des habitants n’augmentent pas à la mesure du PIB (pour mémoire, on constate dans tous les pays OCDE un effondrement de la productivité). Ce constat s’aggrave lorsqu’on considère le revenu national brut par habitant (RNN), reprenant les revenus nets d’amortissement, consommés sur le territoire. Le RNN s’accroît de 4% sur la même période ! La différence de 52% entre le PIB par habitant (88.000€) et le RNN par habitant (48.000€) en 2015, fait réfléchir sur les mesures mises en œuvre pour retenir la consommation au Luxembourg ! Comment garder l’argent au Luxembourg ? Ou bien, convient-il plutôt de raisonner en termes de « Régions » ? Ce regard sur la croissance invite à la recherche d’instruments de mesure alternatifs.Des rapports de l’OCDE et les rapports de Joseph Stiglitz et Angus Deaton, tous deux récompensés d’un prix Nobel, traitent de la notion de croissance « qualitative ». Serge Allegrezza propose de juxtaposer trois indicateurs observés par le STATEC depuis la crise, qui montrent que, malgré la reprise économique, le pouvoir d’achat recule et l’inégalité augmente, pendant que les émissions de CO2 baissent. La courbe de l’inégalité, soit le revenu des 10% de ménages les plus aisés opposé au revenu des 10% de ménages les moins aisés, indique un accroissement de près de 15% entre 2005 et 2014. Durant la même période, le revenu médian à prix constants (50% des personnes gagnent plus et 50% des personnes gagnent moins) montre une stagnation !
Le Conseil économique et social de Luxembourg (CES) et le Conseil supérieur pour un développement durable au Luxembourg (CSDD) ont élaboré avec des partenaires de la société civile un tableau de bord qui reprend 62 indicateurs : revenus et patrimoine, inégalités, conditions de logement, emploi féminin, écarts de salaire, sentiment de sécurité ou de discrimination, qualité de l’air et de l’environnement, taux de suicide, dépendance aux médicaments etc… Un graphique du CES associant le PIB à la fortune (Wealth Index) montre que les deux courbes sont loin de se rejoindre. Contrairement aux pays de l’Est européen, où la croissance est perçue comme une promesse de vie meilleure avec un effet positif sur le bien-être, le dernier graphique illustrant la croissance du bonheur, confirme que la « satisfaction » reste un ressenti plutôt qu’une valeur, et que l’augmentation du PIB n’influe paradoxalement pas sur le bonheur. Alors, l’argent fait-il vraiment le bonheur ? Il y contribue, à condition d’être riche, éduqué et connecté socialement. Mais en conclusion, la croissance n’impacte pas notre bien-être au Luxembourg !
Comptes rendus des statutaires : Sylviane Le Roy
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